« L'optimisme et la raison se confondent ». C'est une formule que répétait le psychiatre Henri Ey qui considérait que la conscience était la disposition vitale la plus prodigieuse dont on puisse être doté. A chaque instant nous analysons notre environnement pour nous projeter au temps d'après et prévoir ce dont nous aurons besoin dans une heure, demain ou dans un mois. Cette faculté s'appelle l'anticipation. C'est par elle que nous planifions les futurs possibles et que nous nous y préparons. L'anticipation nous permet d'organiser nos comportements. Ainsi nous adoptons maintenant les gestes par lesquels nous espérons répondre aux besoins de demain. Pour que notre conscience fonctionne, il est nécessaire d'envisager qu'il y ait un lendemain ; et elle fonctionne mieux lorsque nous pensons que les conditions du lendemain peuvent être améliorées par nos actions d'aujourd'hui. C'est pourquoi l'optimisme est la façon la plus saine d'envisager l'avenir.
L'optimisme s'oppose à la naïveté. Le naïf est celui qui pense que toutes les cartes sont jouées et qu'il n'y a rien d'autre à faire que d'attendre que la pandémie passe. C'est celui qui se fige et abandonne son destin à la fatalité. L'optimisme c'est faire face avec intelligence, c'est chercher à s'adapter en multipliant les initiatives contre l'épidémie. L'optimisme est donc un acte de courage.
Apprendre et affronter ses peurs
L'optimisme vient avec la confiance dans la mise en place des postures collectives de prévention. A l'heure du début de la crise, en l'absence de disponibilité d'un vaccin pour immuniser contre le virus comme d'un traitement efficace pour stopper la maladie lorsqu'il infecte un organisme, la première ligne est le combat contre sa transmission. Ce n'est pas le combat des spécialistes, c'est le combat de tout le monde. D'où le principe d'une mobilisation générale avec l'adoption par chaque membre de la collectivité des postures de protection résumées sous l'acronyme des 4M : masque, mains, mètres, minimale. Porter un masque pour protéger les autres de ses propres projections lors qu'on éternue, porter des gants pour se protéger du contact avec des objets souillés, respecter dans les espaces publiques la distance entre les individus qui y circulent, limiter son exposition dans le temps et dans l'espace.
Être optimiste, c'est accepter ses peurs et apprendre à leur faire face. Il faut distinguer deux catégories de peurs. Il y a la peur que les autres vous contaminent. C'est une peur commune que presque tout le monde ressent. Il y a une autre peur, qui n'est pas bien perçue et sur laquelle on n'insiste pas encore assez : celle d'être soi-même contaminant des autres. Prenons l'exemple des personnalités politiques qui se sont mises en scène en train de serrer les mains de patients atteints du CoViD-19. Ces personnalités pensaient afficher une forme de courage, mais elles ne se sont confrontées qu'à la peur d'être contaminées et elles ont négligé la peur d'un acte plus grave, celui de contaminer autrui. La portée de leur geste eût été bien plus pédagogique et salutaire si ces personnalités s'étaient affichées avec des protections et une distance minimale, en s'inclinant ou en faisant un signe chaleureux de la main.
Nous avons plus à craindre de nos peurs que du danger qui nous menace.
La peur de contaminer autrui et la posture correspondante de protéger les autres ne sont pas encore entrées dans nos habitudes comportementales. Un collègue médecin qui vit au Japon depuis plusieurs années m'a raconté sa mésaventure survenue dans le métro parisien en février dernier. Conforme aux règles civiques en usage au Japon, il adhère au principe que s'il tousse, il s'oblige à porter un masque pour protéger les personnes devant lui des gouttelettes susceptibles d'être projetées sur elles lorsqu'il éternue. Il était donc passager du métro lorsque, sans qu'il ait pu le voir, un inconnu s'est approché par derrière et de façon ostentatoire lui toussa dans son oreille. L'inconnu a ensuite continué sa route. L'analyse de ce comportement est la suivante : ayant observé un passager avec un masque, l'inconnu a pensé que ce passager avait peur des microbes, alors il est allé le narguer avec un geste provocateur. Comme s'il pensait : « Puisque tu as peur de moi, je vais te montrer que je peux te faire encore plus peur… ». L'inconnu était dans l'erreur. Il n'avait pas conscience que dans un espace public quelqu'un pouvait porter un masque pour le protéger, lui et ceux qui étaient à proximité.
L'inconnu pensait que mon collègue adoptait une posture passive alors que c'était l'inverse : mon collègue affichait une posture active de protection au profit des autres qui se trouvaient ainsi, passivement, protégés d'une contamination. C'est un renversement de perspective dans la prise de conscience de son espace de sécurité et de celui des autres. C'est sur ce renversement de perspective qu'il faut insister dans les messages de prévention.
Se représenter soi-même comme une menace pour les autres
La pandémie est le résultat d'une cascade de contamination. Si nous ne changeons pas nos habitudes comportementales nous allons nous contaminer et à notre tour contaminer une ou plusieurs autres personnes. Heureusement, cette chaine de contamination est fragile. Pour la rompre, il suffit de se mettre à distance des personnes que l'on croise. La crise sanitaire que nous traversons nous amène à changer la représentation que nous avons de nous-même pour prendre conscience que nous pouvons être porteurs d'une charge virale : soit parce que nous avons été contaminés et que nous portons le virus dans nos sécrétions respiratoires, soit parce nous avons été en contact avec une personne ou un objet contaminé et que nous portons le virus sur nos mains et nos vêtements. Les gestes 4M ont surtout la portée de protéger les autres. Ayant conscience que nous pouvons être porteur d'une charge virale, nous sommes amenés à réfléchir sans cesse pour ne pas exposer les personnes fragiles à un risque mortel. Dans les services de soins intensifs des hôpitaux nous avons l'habitude de voir les soignants avec des masques et des gants pour ne pas apporter de microbes dans un environnement stérile et ne pas déposer de germes dangereux sur les patients vulnérables. Aujourd'hui nous sommes amenés à considérer que l'espace de nos villes, celui de nos transports en commun, de nos magasins, de nos bureaux, de nos cinémas et de nos restaurants sont comme les salles d'urgence et les blocs opératoires ; nous devons les traverser en observant les règles sanitaires qui préservent les personnes vulnérables.
Se protéger et protéger les autres sont des actes collectifs de dévouement.
Les personnes qui s'expriment sur le confinement se désolent de ne pas avoir la possibilité de visiter leurs aïeux cloîtrés chez eux ou dans une maison de retraite. En même temps ces personnes disent qu'elles ne supporteraient pas l'idée qu'elles pourraient avoir contaminé un parent ou un grand-parent. Elles se consolent avec la conscience que l'abstention de toutes visites est salutaire. On entend les mêmes réflexions et les mêmes mots formulés par ceux dont un proche est porteur d'une fragilité. La consigne « protéger les gens fragiles » est répétée pour justifier le confinement. Cette période nous amène à constater la place que ces personnes fragiles, nommées aussi « personnes à risque », viennent occuper dans notre conscience collective.
Avec surprise nous observons l'installation d'une injonction paradoxale : si vous avez de l'affection pour des proches, c'est en vous éloignant physiquement d'eux et en évitant de les embrasser que vous leur manifesterez le mieux votre attachement. On peut appeler cette posture « l'injonction paradoxale des pandémies ». On avait observé cette même contradiction avec l'épidémie du SIDA : si vous voulez sauver la vie des partenaires que vous aimez, évitez les rapports sexuels sans protection.
La prise de conscience d'une énergie vitale collective
Les civilisations ont un point commun : elles montrent qu'à toutes les époques et dans différentes circonstances l'homme est un bâtisseur d'avenir. La pandémie qui nous bouscule nous amène à réorganiser nos activités. Il est même à espérer qu'elle modifie en profondeur la conscience que nous avons de notre place dans le monde et du rôle que nous pouvons y jouer, particulièrement celui de protéger les autres. Un phénomène qui émerge, qui a une grande importance pour notre avenir, est celui d'une conscience collective. Nous voyons sur nos écrans, en provenance de chaque continent, les images des rues vides des capitales. Nous voyons des animaux sauvages qui réinvestissent les espaces urbains. Nous découvrons des panoramas que les fumées industrielles masquaient depuis des années. Il se produit une révélation. La pandémie et l'arrêt des activités humaines qu'elle impose nous amène au constat que nous sommes tous les habitants d'une même planète, réunis par une même épreuve et isolés dans l'univers. Personne ne viendra nous aider. Les réponses et les solutions ne viendront que de nous-mêmes avec les leçons que nous pouvons en tirer. Une vie en réseau s'est recréée. Les personnes se rencontrent à travers des gestes de solidarité mêlés aux gestes de protection. Chacun se recentre sur des priorités : prendre soin des autres, protéger les personnes vulnérables.
Voilà comment une pandémie, la pratique des gestes collectifs de protection qu'elle impose, la prise de conscience des autres et du monde fragile qui nous héberge nous recommandent d'avoir le courage d'être optimiste.
Patrick Clervoy est médecin psychiatre, professeur agrégé du Val-de-Grâce. Il fut engagé sur plusieurs théâtres d'opérations militaires importants.
Dernier ouvrage publié aux éditions Odile Jacob : Les Pouvoirs de l'esprit sur le corps (avril 2018) |