Je ne sais pourquoi, au moment d'entrer dans le confinement, pour y poursuivre mes activités habituelles, m'est revenue une pensée de Pascal : de celles que les lycées nous enseignaient.
"J'ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. Un homme qui a assez de bien pour vivre, s’il savait demeurer chez soi avec plaisir, n’en sortirait pas pour aller sur la mer ou au siège d’une place. On n’achète une charge à l’armée si cher, que parce qu’on trouverait insupportable de ne bouger de la ville. Et on ne recherche les conversations et les divertissements des jeux que parce qu’on ne peut demeurer chez soi avec plaisir" (Blaise Pascal, Pensées, 1669)
L'homme post-moderne a horreur du vide, et pourtant la ville est le grand lieu du vide : vide spirituel, vacuité des instants perdus à se déplacer, vanité des banalités consensuelles, au point d'oublier les arbres du jardin, le parfum des fleurs, et la couleur des rivières. La vie monacale que nous propose le confinement nous confronte à un inconnu : nous. Il nous éloigne du divertissement quotidien des actions futiles, des soumissions bureaucratiques et de la répétition des gestes consuméristes de la civilisation occidentale : la quête infinie de l'objet parfait.
Un journaliste anglais demandait à Gandhi ce qu'il pensait de la civilisation occidentale. Le Mahatma aurait répondu : "La civilisation occidentale ? Ce serait une grande idée". Bien que l'anecdote soit apocryphe, elle mérite d'être rapportée, malgré son caractère à rebrousse-poil, car elle contient sa part de vérité bonne à entendre.
Positivons-la. Finalement qu'est-ce que le fondement de la civilisation occidentale ? Un ensemble d'idées et d'idéaux. La cité grecque, l'Empire romain, et le judéo-christianisme. Que reste-t-il aujourd'hui de la démocratie athénienne, de l'impérialisme occidental et de la justice divine ? Pourtant ce sont ces beaux restes que des foules vacancières, débarquées de navires de croisière-casino, viennent contempler parce qu'elles savent qu'elles visitent leurs grands-parents dont l'art de vivre, et l'art de mourir, étaient sans doute plus satisfaisant que leur train-train quotidien.
La civilisation n'assure plus la santé, comme le montre la crise du Covid-19, elle risque le collapsus économique pour enrichir quelques-uns, son absence d'idéal déçoit, le divertissement de la société du spectacle ou les transes narcissiques de réseaux sociaux ont montré leurs limites.
Prenons le temps d'y repenser, dans un confinement qui nous permet de nous regarder en face et imaginer ce qui doit être changé dans l'ordre social. Il n'y aura probablement pas d'autre avertissement avant l'extinction : à nous de saisir le moment de l'action sous l'éperon de l'angoisse du futur.
Ce temps suspendu m'a ramené vers les années cinquante soixante, une époque où il y avait de l'espoir, des ours sur la banquise et pas trop de pollution : ce n'était pas le paradis, mais, aujourd'hui, cela lui ressemble. J'y ai retrouvé Blaise Pascal, à la sortie du lycée : écoutons-le encore.
"Qu’on laisse un roi tout seul sans aucune satisfaction des sens, sans aucun soin dans l’esprit, sans compagnies, penser à lui tout à loisir, et l’on verra qu’un roi sans divertissement est un homme plein de misères"
Cessons de nous prendre pour des rois et profitons de ce temps revenu où le ciel clair, le chant des oiseaux, et le silence nous sont rendus. Le confinement n'est pas l'exil, mais un simple retour au pays, celui des valeurs fondamentales.
Jean Cottraux est psychiatre honoraire des hôpitaux, habilité à la direction de recherche, ancien chargé de cours à l’université Lyon-I, et membre fondateur de l’Académie de thérapie cognitive de Philadelphie. Il est l’auteur de : La Force avec soi. Pour une psychologie positive, Les Ennemis intérieurs. Obsessions et compulsions, La Répétition des scénarios de vie, publiés aux éditions Odile Jacob, qui ont été de grands succès.
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