La pandémie du coronavirus, de son nom scientifique Covid-19, plonge le monde entier dans une crise sanitaire de grande ampleur et un marasme économique sans précédent depuis la seconde guerre mondiale. L'Afrique, à la suite de la Chine, de l'Europe et des Etats-Unis d'Amérique, se prépare à subir dans les prochaines semaines une vague forte avec potentiellement un nombre important de personnes gravement atteintes par le fléau.
Cependant, au-delà de l'importance cruciale d'une réponse coordonnée et ambitieuse pour faire face au désastre annoncé pour l'Afrique, cette dernière devrait saisir l'opportunité de cette crise pour construire les ressorts d'une véritable prospérité durable et partagée par le plus grand nombre.
Du fait de la faiblesse des systèmes de santé, de la prévalence des bidonvilles, des services d'eau et d'assainissement limités, la pandémie exacerbera inéluctablement les « angles morts » du développement de l'Afrique et pourrait réduire à néant les résultats durement acquis. L'incidence élevée des maladies respiratoires associée à l'insuffisance de médecins et d'installations sanitaires, rend le continent vulnérable face à la prise en charge adéquate des malades du Covid-19. Vingt-trois pays africains, en particulier, peuvent être confrontés à un risque extrêmement élevé de mortalité due au Covid-19 en raison d'un manque de lits d'hôpitaux (moins de 2 pour 100 personnes) et de taux élevés de décès dus à des maladies infectieuses et respiratoires (3 à 8 décès pour 1 000 personnes).
En outre, avec un déficit de financement de la santé de 66 milliards de dollars par an, les dépenses de santé de l'Afrique sont terriblement insuffisantes pour répondre à ses besoins croissants de financement du secteur de la santé. La situation est aggravée par une forte dépendance externe à l'égard des produits pharmaceutiques, qui expose le continent de manière disproportionnée aux perturbations de la chaîne d'approvisionnement pharmaceutique. Ainsi, 75% des besoins pharmaceutiques de l'Afrique proviennent de l'Europe et de l'Inde, qui sont toutes deux touchées par le Covid-19.
En outre, les dépenses et les installations de santé ne représentent qu'une infime partie du fragile écosystème de santé de l'Afrique. L'accès à des services d'infrastructure tels que l'électricité, l'eau potable, l'assainissement, les transports et les TIC sont des conditions préalables essentielles au bon fonctionnement du système de santé. Sans accès à ces infrastructures de base, les mesures de santé préventives sont compromises, l'accès aux services de santé est restreint et les frais généraux liés au fonctionnement d'un système de santé pleinement fonctionnel sont insoutenables.
Le renforcement du système de santé nécessite une approche intégrant des investissements critiques non seulement dans le secteur de la santé, mais aussi dans l'énergie, l'eau et l'assainissement, les transports et les TIC. De manière générale, l'Afrique a beaucoup investi dans les infrastructures ces dernières années. Néanmoins, en dépit de leur impact économique indéniablement positif, ces investissements qui ne sont pas spécifiques au secteur de la santé, ont considérablement réduit la marge de manœuvre budgétaire de plusieurs pays africains, en particulier à un moment où des ressources seraient nécessaires pour faire face à la pandémie. Les déficits budgétaires du continent représentent en moyenne 3% de son PIB (soit 63 milliards de dollars sur la base d'un PIB de 2 000 milliards de dollars en 2019) et le ratio moyen de la dette africaine par rapport au PIB était de 61% en 2019, soit 9 points de pourcentage de plus qu'en 2016 (52%).
En tout état de cause, la réponse africaine à la crise du Covid-19 ne saurait être efficiente si elle ne mettait pas en son cœur, l'impératif de résilience de ses systèmes de santé et d'éducation, et si elle n'apportait pas de réponse idoine au caractère fortement réduit de son espace fiscal. Les appels à la mobilisation des Etats africains concernent deux principaux aspects :
- Les ministres africains des finances et l'Union africaine ont appelé à une réponse continentale coordonnée autour du Covid-19, avec le déblocage urgent et immédiat de 100 milliards de dollars, dont 44 milliards devraient être consacrés à l'allégement de la dette de tous les pays africains. Les ministres ont également demandé un montant supplémentaire de 50 milliards de dollars pour financer un sursis de paiement des intérêts en cas de crise prolongée ;
- Si, à court terme, il est indispensable que l'essentiel de la riposte soit tourné vers les moyens financiers permettant de faire face à la pandémie, il serait illusoire de penser que sans financement massif immédiat des politiques, programmes et projets visant l'atteinte des objectifs de développement durable (ODD) à l'horizon 2030, l'Afrique pourrait se montrer résiliente face à une seconde vague hypothétique du Covid-19 ou des pandémies de même ampleur.
L'Afrique, continent de toutes les transitions et donc de toutes les vulnérabilités –démographique, écologique, sanitaire et fiscale - a toujours su répondre avec courage et détermination aux défis auxquels ses populations étaient confrontées. Mais à l'impossible, nul n'est tenu. Elle réclame aujourd'hui, au nom de notre commune humanité, un appui international d'envergure sans lequel elle compromettra non seulement sa capacité à proposer une réponse efficace à la pandémie, mais réduira également de façon irréversible, ses chances de réaliser l'Agenda 2030 pour le développement durable. J'appelle donc la communauté internationale à un effort financier sans précédent en faveur du continent africain, à proportion de ce qu'elle fait déjà pour le monde développé et émergent.
Mais au-delà des réponses d'ampleur inédite face à cette crise que le FMI a qualifié de « grand confinement », le continent africain devrait s'atteler d'urgence à construire un paradigme endogène de développement, fondé sur la promotion d'une économie de proximité illustrée par les circuits courts particulièrement adaptés à son agriculture familiale, d'une économie sobre en carbone afin de ne pas alimenter le réchauffement climatique dont il n'est absolument pas responsable, et enfin d'une économie solidaire fondée sur la réduction des inégalités illustrée par l'exigence d'une redistribution équitable des fruits de la croissance.
La pandémie du coronavirus offre aujourd'hui à l'Afrique son pire visage, celui d'un continent vulnérable, alimentant les craintes d'un désastre humain annoncé notamment par les exercices de prospective des chancelleries occidentales. C'est paradoxalement l'heure pour l'Afrique de montrer à la face du monde, les ressorts secrets de sa résilience en assumant le changement. Le changement peut faire peur, peur parce qu'il y a l'inconnu. Cela n'est pas nouveau, la question est existentielle. Mais pour y parer, il faut s'y préparer, débattre, envisager différents scenarii, agir et justement ne pas avoir peur, avoir confiance en nous.
Kako Nubukpo est économiste, ancien ministre de la prospective et de l'évaluation des politiques publiques du Togo.
Dernier ouvrage publié aux éditions Odile Jacob : L'urgence africaine : changeons le modèle de croissance (sept 2019) |